Philippe Kahn, fondateur de Borland International a commencé sa carrière en tant qu’émigré illégal, pendant 4 ans. Il est le créateur du premier organisateur de bureau.

La vie du français Philippe Kahn est un conte de féés. Arrivé aux Etats-Unis avec un visa de touriste en 1982, il y restera 4 ans de manière illégale, avant d’être naturalisé américain. Il en profitera pour commercialiser, via des petites annonces, le logiciel Sidekick d’organisation de bureau, le premier du genre. C’est pendant cette période, toujours sans statut légal, qu’il fonde Borland International, une "success story" qui se fera connaître surtout grâce au compilateur TurboPascal, que la plupart des étudiants en informatique auront pratiqués, sur le chemin qui les a menés au langage C.
Quant à Sidekick, il s’agissait de l’un des tout premiers logiciels TSR ("terminate-and-stay-resident program"), lancé en 1984, sous MS-DOS, un programme activé par une combinaison de touches CTRL – ALT, pendant que l'on continuait à travailler avec un autre logiciel, alors que l’on n’était même pas entré dans l’ère graphique chez Microsoft.
Sidekick était un produit qui ne pouvait que plaire aux américains, qui adorent les organisateurs en tous genres et suivre une ligne directrice claire, voire sans imagination, attitude que n’avaient pas les européens, les français surtout, qui à la vue d’un tel outil d’organisation, n’auraient eu de cesse que de le mettre en défaut. On exagère à peine…
Sidekick comportait un calendrier, un éditeur de texte, une calculatrice, un référentiel ASCII, car il fallait de temps en temps activer des caractères par leur code ASCII, un carnet d’adresses et un outil pour composer des numéros de téléphone, à partir de ce carnet.
Evidemment, pour les usagers d’aujourd’hui, Sidekick n’apportait rien de plus que l’interface Windows, sauf que celle-ci n’existait pas encore.
Preuve que Philippe Kahn avait raison, il s’est vendu plus d’un millions de copies de Sidekick en 3 ans.
Le cas de TurboPascal est tout aussi emblématique. Voilà une plate-forme de développement consacrée au langage Pascal, livrée avec un IDE intégré, l’un des tout premiers aussi, conçu à l’origine uniquement pour MS-DOS et CP/M, son concurrent. Les versions Windows de l’outil continuent d’être exploitées aujourd’hui sous différentes interfaces, bien que Borland ait été racheté par Micro Focus en 2009, un spécialiste des compilateurs Cobol…
La popularité de TurboPascal s’explique aussi par le fait qu’un illustre inconnu à l’époque, Anders Hejlsberg, a participé à son écriture, le même Hejlsberg qui deviendra par la suite un personnage central dans la conception des langages chez Microsoft. A l’origine de C# et de TypeScript, entre autres.
Quant à Phlippe Kahn, outre de nombreux "faits d’armes", il a produit le premier système de partage de photos sur un serveur Web, Picture Mail, accessible par des téléphones portables.
C’est la naissance de sa fille qui est à l’origine de cette innovation, Kahn voulant être en mesure de partager des photos en temps réel depuis la clinique d’accouchement de son épouse. Ce qu’il est parvenu à faire, le serveur de messagerie, nécessaire pour poster et accéder aux photos, ayant été installé à son domicile.
Résultat, la photo prise à la naissance de sa fille Sophie, restera selon le magazine Time comme l’une des 100 photos les plus marquantes de l’histoire de la technologie.
Mais Philippe Kahn, c’est aussi autre chose. Il a été le premier défenseur dans la Silicon Valley des droits des homosexuels, droits qu’il a mis en œuvre dans sa propre compagnie Borland, montrant ainsi la voie à de nombreuses autres enseignes de Californie et d’ailleurs.
Car le personnage est aussi attachant que créateur. Et toutes les personnes qui ont eu à travailler avec lui témoignent de ce qu’il a été un dirigeant doué, mais très généreux, respectueux et à l’écoute de ses employés, quels qu’ils soient. Une particularité rare dans l’univers impitoyable du business américain.
On peut d’ailleurs penser que ses origines et la vie dramatique de sa mère, rescapée de l’enfer d’Auschwitz-Birkenau, y est pour beaucoup.
Quoi qu’il en soit, même si son image s’est quelque peu estompée dans les brumes du passé, il restera pour les informaticiens et utilisateurs qui ont "pris de la bouteille" depuis, une figure incontournable dans on parlera encore dans 100 ans.