John Von Neumann, "père fondateur" des architectures modernes
Tous les informaticiens ont entendu parler de John Von Neumann, l’inventeur de l’architecture moderne des ordinateurs, tant il est vrai que près de 70 ans après sa disparition, il fait toujours référence. Mais Von Neumann, n’a pas été que cela. Il a surtout été un physicien éclectique, un touche à tout multi-domaines, l’égal d’Einstein, dont il a été l’élève.

John Von Neumann, il faudrait plutôt dire Janos Von Neumann, puisqu’il était d’origine hongroise, est un vrai phénomène de la science. L’un de ceux dont on se dit que leur cerveau n’était pas câblé de la même manière que celui des autres bipèdes de la planète.
Rendez-vous compte. A 23 ans il est ingénieur chimiste et docteur en mathématiques, deux spécialités dont on ne peut pas dire qu’elles soient pourtant très proches.
Ce qui n’a cependant étonné personne dans son entourage, car la légende voudrait qu’à l’âge de 6 ans, il conversait avec son père en grec ancien, pendant que ses petits camarades n’avaient d’intérêt que pour la "Mannschaft", la sélection allemande de soccer et qu’à l’âge de 11 ans il avait lu la totalité des 44 volumes de l’encyclopédie d’histoire contemporaine de ses parents, ce qui pour un enfant à peine ado, était quelque peu original.
On dit aujourd’hui qu’il avait une mémoire "eidétique", autrement dit qu’il avait reçu un don du ciel qui lui permettait de retenir des scènes très complexes, des images, des sons et des textes dans leur moindres détails. Apparemment sans avoir à se forcer… Sans que l’on sache d’ailleurs si cet "eidétisme" était inné ou dû à la formation élitiste qu’il avait reçue dans sa famille, celle de l’un des plus gros banquiers hongrois de l’époque.
John Von Neumann est en fait un triple personnage : mathématicien, physicien et concepteur d’ordinateurs, des activités qu’il aura pratiquées pendant sa carrière, somme toute très courte, puisqu’il disparaîtra à l’âge de 53 ans en 1957.
Il a d’abord été un grand mathématicien.
Il va par exemple jeter les fondations de la théorie des jeux, une discipline qu’il va créer avec un compère tout aussi allumé que lui, Oskar Morgenstern. Il contribuera également à hiérarchiser les ensembles, une théorie mathématique lancée par Cantor à la fin du XIXème siècle et proposera la notion d’ensemble transitif, ainsi que les méthodes de Monte Carlo pour donner des solutions aux équations aux dérivées partielles, qui étaient évidemment au centre de toutes les préoccupations de l’époque…
Mais des mathématiques pures à la mécanique quantique il n’y avait qu’un pas, franchi allègrement par Von Neumann, qui va s’y attaquer et unifier mathématiquement les deux grandes approches qui avaient cours, à savoir la formulation matricielle d’Heisenberg et l’approche par les équations différentielles ondulatoires de Schrödinger, le même à qui l’on doit le fameux chat, en même temps mort, malade et en bonne santé.
Pour les spécialistes que sont les lecteurs LeMarson, la conséquence des travaux de Von Neumann aura donc été de ramener la physique quantique dans le cadre mathématique des espaces de Hilbert. On s’en serait douté. Nous ne faisions que le rappeler pour mémoire…
Von Neumann et la bombe atomique
Au début des années 30, John Von Neumann va commencer à travailler avec les américains, tout en poursuivant en Allemagne une carrière de professeur très réputé. C’est d’ailleurs pour cela qu’il deviendra aussi professeur-invité à Princeton et rejoindra l’ "Institut for Advanced Study" où il rejoindra Albert Einstein et Kurt Gödel, qu’il avait déjà côtoyés pendant sa période allemande, consacrée à la mécanique quantique.
En 1937, peu de temps après sa naturalisation américaine, Von Neumann va se spécialiser dans les mathématiques appliquées et deviendra l’un des plus grands experts mondiaux en matière d’explosifs, ce que son profil de chimiste-mathématicien-physicien nous permet de mieux comprendre aujourd’hui.
Il va participer au projet "Manhattan" à Los Alamos, à savoir l’élaboration de la première bombe atomique A de l’histoire, pour laquelle il appliquera l’un de ses grands principes, à savoir qu’il est beaucoup efficace de faire exploser une bombe à une certaine hauteur que directement sur le sol, ce que des plaisantins vont traduire en "Von Neumann a compris que c’est mieux de rater sa cible plutôt que de l’atteindre".
Pour mieux situer le personnage, il faut se souvenir que le laboratoire de Los Alamos pendant la guerre, avait attiré de nombreux juifs du centre de l’Europe, très compétents en matière de mathématiques et de physique et parmi lesquels évidemment Von Neumann, qui n’a jamais fait mystère de sa haine farouche du nazisme.
C’est pendant cette période, particulièrement productive, que Von Neumann, obsédé par la nécessité de trouver de nouveaux moyens de calcul pour servir les théories nouvelles en mathématiques et physique, a établi les bases d’une architecture d’ordinateur qui porte son nom et que l’on exploite encore maintenant, près de 90 ans après. Von Neumann ne manquant pas de rappeler ce que cette approche devait à Alan Turing et à sa machine.
Cette architecture est fondée sur 4 éléments : une unité arithmétique et logique (UAL) qui effectue les opérations, une unité de contrôle qui effectue le séquencement des opérations, la mémoire qui contient à la fois les données et les instructions du programme, avec une distinction entre la mémoire vive et la mémoire de stockage et les dispositifs périphériques qui permettent de communiquer avec l’extérieur.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, John Von Neumann, prix Enrico Fermi en 1956 (un an avant sa mort), n’était pas un rat de laboratoire, occupé à refaire le monde.
Il profitait aussi à plein de celui dans lequel il évoluait. Bon vivant et hédoniste "à temps plein", il avait une réputation de grand buveur, peu regardant sur la quantité de calories qu’il absorbait chaque jour, alors même que l’on disait de lui qu’il était capable de mesurer tout ce qui existait dans l’univers. Une tendance qui s’est ajoutée à celle de grand amateur du beau sexe, au point que les secrétaires de Los Alamos, avaient dû prendre de multiples précautions pour éviter que l’œil inquisiteur de Von Neumann ne vienne s’aventurer là où il n’était pas invité.
En définitive, au-delà de sa célèbre architecture, nous garderons de Von Neumann, le souvenir d’un extraordinaire mathématicien, dont Eugène Wigner, un autre scientifique ami de tous les grands, de Planck à Einstein, a dit qu'il était la personne la plus intelligente et la plus brillante qu'il ait jamais rencontrée, et que seul Einstein avait une plus grande profondeur, mais dans moins de sujets.
Sa fin sera malheureusement tragique, car il décédera dans d’atroces souffrances, un cancer des os et du Pancréas, dû probablement à sa surexposition aux rayonnements X pendant sa période Los Alamos.
Regardez bien les photos de Von Neumann. Vous ne manquerez pas d’être surpris par son regard inquisiteur et désarmant. Un sacré phénomène. Il est probable qu'on le qualifierait aujourd'hui d'autiste à haut niveau.
On vous le disait, c'est une affaire de câblage.